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LE SITE DE ROMAIN VERGER

/ ROMAIN FUSTIER / UNE VILLE ALLONGÉE SOUS L'ÉPIDERME / ÉDITIONS HENRY / ÉCRITS DES FORGES / 2008 /


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DIÉRÈSE / n°42 /

 

Ce dernier recueil de Romain Fustier a obtenu le Prix des trouvères 2007 et le Grand Prix de la Ville du Touquet. Si l’univers du poète est des plus cohérents et son style très reconnaissable, il est toujours difficile de le citer, d’extraire des bribes de ses poèmes tant chaque page dessine un ensemble clos, comme une pelote de mots qui ne se livre qu’entièrement déroulée. Un fil qu’on a peine à couper, un souffle impropre plus qu’un autre à la captation. Toute la magie de son écriture est là, dans ce phrasé qui agrège à lui les petits éclats du quotidien, les parfums volatiles du monde et s’en imprègne pour nous les restituer à la lecture. Délicat donc de retenir une strophe ou un vers (on ne trouvera d’ailleurs ni l’un ni l’autre chez lui qui a choisi la prose), c’est tout un poème qu’il faudrait convoquer, ou rien. Mais peut-on faire autrement...

Cet ensemble de poèmes est dédié à Amandine Marembert, sa compagne et poète qui se trouve mise au coeur de chaque poème, ou plus exactement placée au seuil de chacun d’eux, dans l’anonyme pronom "elle". Des poèmes d’amour comme autant de fenêtres ouvertes sur son mystère. On l’entend parler au gré des poèmes, mais jamais sa propre voix n’est marquée par quelque signe de ponctuation que ce soit ; manière peut-être de rendre la femme et le poète indifférenciés, de les faire fusionner dans le poème. Il faut reconnaître qu’elle est présentée comme l’alter ego, comme cette moitié retrouvée du mythe platonicien : "elle est née des mains de la même sage-femme que moi dans la même clinique qui n’existe plus depuis longtemps elle a donné des miettes de pain aux mêmes pigeons que moi à clermont jardin lecoq".

Un recueil très onirique, où l’on voyage immobile, où les courses se font avec le ralenti des rêves. Le lieu de l’écriture n’y est sans doute pas pour rien : l’ancienne Villa des Roses fut aussi gare de triage. La maison est un lieu d’échappées intérieures : "la baignoire est un wagon où je m’allonge quand les trains s’arrêtent dans la maison me lance-t-elle". L’observation du jardin montluçonnais suffit à faire se lever les herbes de la pampa, les cactées d’Amérique. Les poèmes disent toute la force de la pensée, de la rêverie et de l’arrachement dont est capable l’écriture : "elle se verrait bien là-bas et m’assure qu’elle y est mentalement". Si les vrais voyages ne se font pas, l’évasion est à portée de main et de mots : "une ville qu’on visiterait ensemble en cette saison bruxelles sous un ciel aussi plat que ce midi derrière lequel elle court au ralenti". Ainsi, l’on peut "découvrir nos indes de l’autre côté de la rue un continent intime à habiter tandis que nous roulons dans une bagnole tournant le dos au sud où nous n’irons pas".

Cette thématique du lieu est essentielle. La maison est l’espace ou confluent les lectures, les images et métaphores de l’écriture. Le dehors s’écrit au-dedans, la rumeur du monde s’écoute du foyer, depuis la chambre, la salle de bain ou la cuisine, réceptacles et amplificateurs des bruissements du dehors. Intériorité rêveuse, aqueuse et dilettante propice au vagabondage et à la fabrique poétique : "elle a disposé une bibliothèque de lit afin de s’évader entre les pages des oreillers qu’elle feuillette sous le drap où l’intrigue se froisse se déploie en vagues de coton qu’on corne". La frontière entre le rêve, l’imaginaire et la réalité, la chose lue et la chose vécue, est toujours des plus ténues, comme en témoigne ce texte où la femme aimée parcourt "un texte évoquant un citron dans l’oeuvre d’un poète de la rue né dans le bronx et puis j’ai regardé les épluchures sur la table où traînait encore l’odeur de ses mains qui ont parcouru le livret". Autre exemple, la consultation de l’article "tremble" du dictionnaire qui va dépasser de beaucoup son cadre lexicographique pour résonner au plus profond de l’être et l’émouvoir, ce qui n’est pas sans me rappeler La lectrice soumise de Magritte : "les feuilles du tremble frissonnent au moindre vent me relit-elle tant cette définition la ravit surprise ou de trouver pareille image sensible à la page mille sept cent huit du dictionnaire le robert (pratique de la langue française) de sorte qu’elle en frémit encore qu’elle tremble de nouveau en repensant à ce peuplier tendre à l’écorce lisse dont le très léger mouvement invoqué a vibré en son corps jusqu’à la racine".

Le jardin est un autre thème de prédilection de Romain Fustier. Il est la première manifestation de cette extériorité, la plus directement accessible aussi. La maison est traversée par ses parfums et couleurs qu’on en extrait pour les mettre en vase. Tel ce lilas qu’on accueille pour "faire pénétrer le printemps", tels ces dahlias ou ces pivoines qui échangent leur carnation, l’odeur de miel du prunus et celle, entêtante, des "jacinthes au fond d’un verre à orangeade". Le poème consacré au bouquet de violettes donne une assez juste idée de ces échanges continus du dedans et du dehors, qui sont à l’oeuvre dans la texture même de la phrase puisque à la façon d’un pantoum, le texte s’applique à reprendre les mêmes mots et à les réagencer et les brasser autrement. Ainsi, les mots deviennent l’incarnation même, aérienne et bouillonnante, de ces délicates fragrances, des "mots à racines tuberculeuses" qui n’en finissent pas de se ramifier et d’essaimer.

 

© 2008 / Romain Verger /

 

Voir également ma note de lecture consacrée à Ici-maintenant du même auteur.

 



 

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