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LE SITE DE ROMAIN VERGER

/ ROMAIN FUSTIER / ICI-MAINTENANT (HYPERTEXTE) / IDP ÉDITEUR / 2008 /
/ DIÉRÈSE / n°40 /

 

Cette nouvelle plaquette du poète rassemble des textes qui datent d’une dizaine d’années mais qui ont fait l’objet de nombreuses relectures. "Une sorte de collision improbable" m’écrivait-il pour me la présenter, fruit de sa découverte d’Internet à ses débuts et d’un travail mené sur la question de la simultanéité chez Apollinaire.

Les poèmes de Romain Fustier, dont on sent bien qu’ils émanent d’un grand travail de contraction, de simplification et d’infusion du poème dans le temps et l’expérience sensible, donnent l’impression de la note, telle que la définit Georges Perros dans ses Papiers collés : "Le rêve que fait la note digne de ce nom, c’est d’échapper à sa nature fugitive, à sa chrysalide sans issue, à son éventuelle distribution, à sa noyade dans le général. (...) Elle suggère. N’insiste jamais ; fait souffrir — le souhaiterait — sans laisser jouir. Disons qu’elle est d’essence féminine." Romain Fustier consigne la vie en poème sur des blocs-notes petits carreaux.

Ici-maintenant s’en écarte cependant, s’apparentant davantage à une micro-fiction séquencée en plans juxtaposés. Comme dans ses autres oeuvres, chaque poème dessine un bloc à la fois dense et fragmenté, une collection de gestes, de postures, d’états qui reviennent, se croisent, comme chez Duras, s’enrichissant de leur nouveau contexte. Une romance sans parole, un mimodrame. C’est la décomposition poétique d’une rencontre amoureuse (" / un homme et une femme se sont aimés quelque part dans le silence d’un crépuscule orageux /") dont le centre est absent, avalé entre le présent et le passé composé révolu, mais dont nous pouvons reconstituer les entours et circonstances, dans la conjonction des facteurs climatiques (le vent se lève, les nuages se brisent, l’orage menace) et des mouvements corporels. Le dépouillement de l’espace, l’éparpillement des foules favorisent l’accomplissement de cette liaison intime. Rencontre et scène d’amour ont lieu simultanément dans la rue, sur un quai de gare routière et dans l’intimité du foyer. Des lieux suggérés plus que dépeints, comme un décor virtuel constamment transposable et échangeable (une cuisine, un salon avec sofa, le premier étage d’un immeuble moderne). "Quelque part" se suffit bien souvent. Les poèmes sont autant de variations des mêmes actions, dont les détails et le temps changent constamment et imperceptiblement jusqu’à nimber cette rencontre d’un mystère impénétrable, parce que sans doute trop intime.

Mais s’agit-il d’un seul couple dont l’amour est aussi furtif qu’ubiquitaire ou de plusieurs se fondant dans une grammaire amoureuse commune (une prostituée et son client, une femme et son mari, une femme et son amant...) dont il nous est donné de voir les agissements et de percevoir les désirs, l’ensemble des poèmes devenant comme un dispositif de télésurveillance ? L’inscription du projet dans la simultanéité ouverte par le Net et ses ressources hypertexte nous invitent à privilégier la seconde hypothèse. Mais j’aime aussi la première qui donne toute sa dimension à l’étreinte amoureuse, qui sublime cette écriture blanche dénuée de tout lyrisme en une constellation de gestes signifiants et cosmiques. La rencontre amoureuse y gagnerait dès lors des accents surréalistes, comme issue d’un hasard objectif. D’ailleurs, jouée et indéfiniment rejouée, elle en entraîne mystérieusement d’autres dans sa déflagration contagieuse : "/ il est l’heure / d’autres hommes et d’autres femmes s’aiment à leur tour /".

 

© 2008 / Romain Verger /

 

/ bio-bibliographie de Romain Fustier /
/ idp éditeur /

 

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