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LE SITE DE ROMAIN VERGER

/ HENRI DROGUET / OFF / GALLIMARD / 2007 / DIÉRÈSE / N°39 /


"Vivre est émouvant, et la poésie n’est pas autre chose que le relevé sec, tranchant, impitoyable, de cette émotion sans équivalent immédiat." Ainsi Henri Droguet ouvre-t-il son recueil sur cet exergue de Georges Perros, l’illustrant à sa manière, et d’abord par la forme d’un recueil aux allures de calendrier poétique : deux années d’une collecte attentive d’un vivre quotidien, vibrant de l’aperception d’un dehors foisonnant. Aucune concession à un modernisme de façade, la poésie d’Henri Droguet est de celles qui puisent aux sources des églogues et des pastorales, qui remettent en scène les "nymphes émues lavandières" tout en se jouant des codes et des traditions, "recycl[ant] à l’infini son histoire ancienne à galoches / flonflons capuchon carton bouilli / rengaines et revenez-y / de mots-mini de mots-pâture".
Le poète est jeté face à la profusion d’une nature en constante réinvention. Pour l’appréhender, il ne peut compter que sur une langue indigente et catégorisante : "La langue cache-misère toute enfin / à oui oui déplacée dé- / pouillée de ses hargnes et vergogneux / chantiers fait retour / au chant cosmochaotique". Ce thème du désordre élémentaire structure le recueil, dans le titre de plusieurs sections ou poèmes : "fatras", "fatrasie", "vrac", "brouhaha" ou "pièces détachées"... De fait, l’inventaire du chaos peut sembler tentant, mais il serait vain si le verbe poétique ne se faisait "parlage" ou "parlure", sorte de langue viscérale porteuse des mutations, des cycles, des gargouillements du vivant et qui ne recule devant aucune refonte lexicale. Le premier "symptôme" (titre du poème liminaire) est justement cette prise de conscience d’une matière verbale unie à celle du monde : "Ciel à chaux flocons chaumes". Le poète est "celui que tenaille le sonore besoin / d’être". On ne résiste pas au plaisir de se gargariser avec lui de ces festins sonores auxquels il nous convie : "empâtements de lavandes hirsutes / soleil roulé boulé brasillant / caillot sorbet de sang", "le craillis funèbre le caillant / raclement des corneilles" ou encore "les chnoques et bocks et schnaps". Cette traversée des textures engendre ce "sixième sens" qu’est le "jouir". Une sensualité qui ne se contente pas de "mâcher (d)es mots", qui s’illustre dans l’amour naturiste et cosmique de ce couple qui s’enfourche dans les bruyères ou de celui qui "s’onanise" sous "le ciel paquet mordu bleu". On y mesure constamment l’appétit de vivre et d’écrire (c’est le même), que menace parfois l’excès, les débordements engluants de matière dont les variations de noir sont la plus fréquente manifestation, marque d’une disparition toujours possible. Mais toujours aussi le poème est appelé à renaître de ses cendres : "dans la maison verrouillée un feu s’éteint / au fond de l’âtre à crémaillère et chenets / fuligineux le premier levé ranimera la flamme".
Le recueil rend de nombreux hommages, tant à des poètes qu’à des peintres : on songe à Rimbaud bien sûr, le plus proche peut-être, mais aussi à Baudelaire, Novalis, Celan, Prévert, Mallarmé, Chateaubriand, Monet, Botticelli... Autant d’échos et de révérences où affleure souvent l’humour et la dérision, manière de contenir le pathos, de ne pas laisser le poème sombrer dans l’élégie.

 

© 2007 / Romain Verger /

 

/ Off chez Gallimard /
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