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LE SITE DE ROMAIN VERGER

/ Jean Ristat / Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup /

Gallimard / 2007 /
/ 25-02-08 /

/ Diérèse / n°40 /


Dans Le voyage à jupiter et au-delà. Peut-être, son précédent recueil, Jean Ristat signait une épopée païenne qui s’achevait abruptement au seuil d’une première section : "De la terre à la lune". Dès lors, peut-être faut-il lire ce nouvel opus comme ce voyage vers l’Olympe, annoncé et laissé en suspens, et plus précisément comme une ode à Artémis, figure lunaire s’il en est. Hommage donc à la chasseresse, la seule qui soit épargnée par les flèches burlesques et héroï-comiques du poète.

On y relève un jeu fréquent de contrastes entre le fond et la forme, la hauteur du style et la familiarité du sujet. Les strophes ont la noblesse et la puissance des odes et épopées helléniques, associant d’une manière brillante les épithètes homériques, les vers formulaires ("Battez graves tambours sonnez trompettes légères") et les licences de la poésie contemporaine. L’Olympe est dépeint comme un théâtre au "décor de carton" où les dieux, en "figurants", jouent à laver leur linge sale en famille, à rapiécer les lambeaux de leur réputation perdue sous "les lourdes tentures du ciel". Rien ici de la superbe de la Théogonie d’Hésiode ou de l’introduction aux Dieux du stade de Leni Riefenstahl... Jean Ristat dresse le tableau croustillant d’un panthéon décomposé, désacralisé et déchu : "dieux en traîne-savates / Dégingandés et dégoisant des chansonnettes". Ils en perdent leur majuscule, au premier rang desquels "papa zeus", coiffé d’un "improbable postiche" et couvert de "peaux mortes", mis en scène en "conducteur égrillard" et "pétaradant" d’une roulotte. Patriarche d’une famille de gens du voyage, de forains, il n’a plus rien de celui qui déchaîne magistralement sa foudre mais rappelle le dieu irrévérencieusement croqué par Lautréamont ou la "Vénus anadyomène" de Rimbaud. Zeus vide ses eaux usées sur les mortels ( "un déluge d’eaux saumâtres et d’ors croupissant") : "Une fois relevées les bondes du ciel / Au crépuscule lisse comme une toison / De soie ils déversent l’urine de leurs pots / De chambre et leurs excréments Ô divins engrais / Sur la tête des bergers gardiens de nuages".

On retrouve la déesse dotée de ses attributs habituels (son arc, ses flèches et son croissant de lune), entourée de son cortège de nymphes et de chiens. Elle non plus n’échappe pas totalement à la parodie, dépeinte comme une sorte de virago "aux dures cuisses", "puissamment bâtie / Une vraie camionneuse un garçon manqué", figure antithétique de l’"héraclès enjuponné". Artémis en "diseuse de bonne aventure" qui plus est, officiant dans la roulotte paternelle. Mais derrière ce portrait cocasse se révèle au fil des strophes une sauvageonne insoumise, une vierge intraitable, "imprenable" et redoutable, qui se tient à l’écart du "remue-ménage" ambiant et du nombrilisme paternel, toute possédée qu’elle est par son art de la traque et de la chasse. "Terrible est la colère de la grande artémis / Lorsqu’elle chevauche la lune sans son escorte". La première section n’est est pas moins ambiguë : faut-il lire dans le portrait truculent de sa première proie (un sanglier) une dépréciation de la chasseresse elle-même ? Ce solitaire aux allures de petit marquis pourrait y inviter : "Tout galonné de fils d’or et poudré de lune / Il se regarde dans le miroir d’un bourbier", "il lâche des vents" et dans "le chuintement des vapeurs nauséabondes / Il s’enivre de son odeur qui l’enveloppe". Il semble qu’Artémis gagne en prestige au fil de ces différentes séquences de chasse. La seconde reprend d’ailleurs le fameux épisode où la déesse est surprise au bain par Actéon. Outragée, elle le châtie en le métamorphosant en cerf puis le fait dévorer par ses chiens. Là encore, la réécriture est savoureuse puisqu’on y suit les frustrations libidinales d’Actéon contraint, pour se soulager de son priapisme, de se masturber contre un arbre : "La fièvre qui empourpre son membre encore dur / Demande secours et délivrance au tronc d’un / Chêne qu’il enlace et frotte l’écorce tendre". Mais par-delà l’anecdote, c’est bien une Artémis inflexible, désintéressée et dégagée de toute préoccupation divine ou mortelle. Déesse animale et végétale, proche de l’Hippolyte d’Euripide, elle est investie de la nuit et des ténèbres, incarnée dans un entre deux qui n’est ni l’homme ni dieu. D’où la dernière séquence de chasse où on la voit, dans son sommeil, en magicienne eschatologique, engendrer ses futures proies, peupler le monde de loups affamés de charognes. Artémis semble être celle par qui s’informe le mystère et le verbe poétique : "voici l’heure des métamorphoses et des / Enchantements Ô théâtre où tout s’échange et / Se déplie les mots comme fleurs de papier". Artémis, une figure qui se situe ailleurs, cheminant, telle l’Orphée de Cocteau, dans l’espace aux ombres, toute tendue avec son arc vers la mise à mort dont elle n’épargne rien ni personne. À rattacher sans doute à cette citation de Roger Vailland mise en exergue du recueil : "C’est encore la littérature cynégétique qui nous permettra de retrouver la définition de la poésie."

 

© 2008 / Romain Verger

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